Robert Bodja, la musique pour conserver les liens

Dans notre série d’articles, qui montrent comment la musique a permis à certains artistes de se reconstruire et de surmonter leurs difficultés, il était important pour la Fondation EME de mettre en lumière le parcours atypique et musical de Robert Bodja, artiste qui collabore avec la Fondation depuis sa naissance en 2009. Zoom sur ce musicien qui a dû fuir le Togo pour des raisons politiques et qui a reconstruit sa vie au Luxembourg, grâce à la musique mais aussi autour d’elle…

Publié le 25 Juil. 23

Robert Bodja jouant du djembé

Les tensions politiques au Togo

Le Togo est un pays d’Afrique de l’Ouest entouré par le Burkina Faso, le Bénin et le Ghana. En 1990, Robert Bodja, jeune journaliste de formation, est alors engagé pour le multipartisme au Togo, dans un pays dirigé par le “Rassemblement du peuple togolais”, parti unique et d’État. La question du multipartisme divise le pays et donne lieu à des tensions très vives.

Commençant à craindre pour sa vie, et sentant un vent de répressions, Robert Bodja décide de fuir pour le Bénin en 1991. Il s’expatrie ensuite au Luxembourg, pays plus sûr dans sa situation. Malheureusement le jeune homme doit laisser dans son pays sa femme enceinte : il ne pourra voir sa fille que bien plus tard. Le voilà parti pour le Luxembourg…

S'intégrer au Luxembourg

Dès l’arrivée au Grand-Duché commencent les difficultés administratives. Il monte un dossier de demandeur d’asile, qui prendra 6 années à aboutir. Sans ce précieux sésame, il ne peut ni travailler, ni étudier …

Il a toujours travaillé et ne supporte pas de rester sans rien faire. Il intègre l’équipe de foot proche de chez lui, ainsi que l’ASTI, l’Association de soutien aux travailleurs immigrés. Il milite également contre la torture. Progressivement, et grâce à ses engagements divers, il s'intègre à la communauté luxembourgeoise.

En effet, pour pouvoir comprendre les instructions tactiques lors de ses entraînements de foot, il est obligé de comprendre le luxembourgeois ! Il commence ainsi à apprendre l’allemand, puis le luxembourgeois, et se met ensuite à l’anglais.

En faisant du bénévolat, il se construit les liens qui lui permettront ensuite de trouver un emploi lorsque sa demande d’asile aura enfin été acceptée, en 1997…

Il peut enfin véritablement construire sa vie au Luxembourg lorsque sa femme et sa fille, reçoivent l’autorisation de venir au Luxembourg en 1998. Après tout ce temps, il rencontre sa fille, qui a déjà six ans ! Sa famille s'agrandit ensuite sur le territoire luxembourgeois, avec deux autres enfants.

La musique comme échappatoire

Comment garder espoir, lorsque l’on doit attendre pendant six ans le statut de réfugié ?

Robert Bodja jouant du djembé durant un atelier

La musique a toujours fait partie de la vie de Robert Bodja ; dès l’enfance, ses professeurs le remarquent pour sa voix. Âgé d’une dizaine d’années, il monte un groupe de musique et de théâtre avec ses camarades, à destination des personnes de son quartier. Il passe de rue en rue pour faire la communication autour de ses spectacles !

Arrivé à l’âge adulte, il continue à jouer de la batterie. Ayant fini ses études de journalisme, il effectue dès que possible des reportages quotidiens sur des sujets musicaux : la musique ne reste jamais loin de lui et il tente de concilier sa passion musicale avec son travail.

Ainsi, lorsqu’il arrive au Luxembourg et qu’il se trouve désemparé face à sa situation, la Musique devient son refuge. Lorsque sa famille était encore loin de lui, la musique lui a permis d’oublier ses soucis et de ne pas perdre espoir, en dépit des difficultés politiques et administratives.

En effet, Robert BODJA monte son propre groupe de musique “Les ZIMIT” dès 1995, aujourd'hui connu sous le nom de "Black Dejmbé". Le Luxembourg  étant cette année-là capitale européenne de la culture, l’occasion est idéale. A l‘époque, ils sont alors le seul groupe de musique folklorique africaine. L'activité musicale lui fournit une occupation, mais lui permet également de procurer du plaisir aux autres. Ce groupe est une grande réussite ; progressivement, le groupe a de plus en plus de représentations.

Dans ce groupe de musique, Robert joue du Djembé. C’est une première pour lui, qui n’en jouait pas lorsqu’il habitait encore en Afrique, lui préférant la batterie. Pourtant, dans ce contexte compliqué dans lequel il est éloigné de ses proches, les rythmes qui ont bercé son enfance lui reviennent instinctivement. “J’ai ressenti la nostalgie de ma culture” nous affirme t’il. “C’est ce qui m’a permis de me reconnecter à ma culture. Tout m’est revenu, les mélodies de mon enfance. C'était magique. Je me suis battu pour apporter culturellement de mon pays ; j’ai tenu à garder et à partager ma culture”. Comme il le dit lui-même, c’est ce qui lui a permis de ne jamais se sentir dépaysé.

Professionnellement également, il s’engage pour son pays d’origine. Pendant près de 14 ans, il travaille auprès de l’ASTM, Action Solidarité Tiers-Monde. Ce travail le fait réfléchir à l’interdépendance Nord Sud et lui donne un levier d’action positive sur son pays d’origine. Ce travail sur le terrain l’oblige à voyager constamment, au sein du Luxembourg mais aussi partout dans le monde.

Depuis, il a suivi une formation d’éducateur gradué et s’est spécialisé dans les ateliers de Djembé, de Gospel, et accompagne régulièrement des groupes de personnes âgées.  Il travaille la majeure partie du temps auprès du groupe Servior et est également musicien pour la Fondation EME.

Musicien à la Fondation EME

Parmi les objectifs de Robert figurent le fait de rendre la musique accessible et de travailler sur l'inclusion musicale et culturelle. C’est donc tout naturellement qu’il collabore avec notre Fondation.

Robert Bodja jouant du djembé avec un enfant

La Fondation EME existe depuis 2009 ; Robert Bodja a été l’un des premiers à collaborer avec la Fondation, dans le cadre du projet Wassa Wassa. Ce projet proposait de découvrir de nouveaux instruments, produits pour l’occasion. Lorsque Robert nous parle du spectacle qui avait eu lieu à la fin du projet, il dit avoir été ébloui par le résultat. Ce projet bénéficiait aux jeunes de l’ensemble du Luxembourg : des jeunes en difficulté, en foyer ou porteurs de handicaps. A l’origine du projet, dès 2009, l’envie de réunir des jeunes de différents milieux, pour leur montrer qu’ils ne sont pas seuls.

 

La Fondation EME, pour laquelle il anime de nombreux ateliers, est très fière de collaborer avec un tel artiste…Le dernier projet en date ? Akwaba Menike, au centre de réfugiés de la Croix-Rouge luxembourgeoise de Dudelange, où il apprend à des jeunes réfugiés à jouer du djembé. Autant d’occasions de partager sa vitalité et sa musique, dans lesquelles l’artiste témoigne de vertus pédagogiques indéniables.  

Aujourd’hui, Robert Bodja travaille aussi bien avec des enfants qu’avec des personnes âgées. Cette double casquette a été mise à profit pour un projet multigénérationnel en juin 2022 avec le projet Djammo Djammo, lors du Fräiräim Festival…

Musicien avec les Seniors

Le public avec lequel Robert Bodja a le plus de plaisir à travailler ? Les seniors !  Les projets qu’il préfère ? Justement, les projets intergénérationnels et ceux qui permettent de mélanger les milieux ! Il nous parle avec émotions des projets de Gospel d’envergure qu’il a eu l’occasion de monter. Gospel and Friends, Gospel O'Pluriel… Autant d’occasions de brasser les groupes et les générations.

Robert Bodja jouant du djembé avec un choeur de gospel

Durant les ateliers qu’il anime, les personnes qu’il accompagne ont l’occasion d’oublier les soucis de leur vie quotidienne via la musique – tout comme elle avait joué un rôle salvateur pour Robert Bodja durant ses années les plus difficiles.

Il fait découvrir de nouveaux instruments à ceux qu’il accompagne. Robert Bodja joue du djembé, mais également du balafon, un instrument en bois percuté par des baguettes, qui ressemble à un xylophone. Il rythme également leurs journées en leur apportant un nouvel objectif, la musique – chose primordiale pour les stimuler tous les jours. Pour ses projets de Gospel, il donne également des cours d’anglais aux personnes âgées…

On ne peut s’empêcher de voir comment la musique est utilisée, par Robert Bodja, pour tisser des liens entre les autres et lui-même, mais également au sein des groupes qu’il accompagne. Il suffit de voir les photos des groupes qu’il anime ! On peut y apercevoir la joie qui illumine les visages, dans ces moments qui semblent hors du temps.

Conclusion

Malgré les coups du destin, Robert Bodja n’a jamais eu peur de continuer à rester tourné vers les autres. Il a appris à parler d’autres langues, s’est investi dans différentes associations…

Mais c’est la musique qui a été le moyen privilégié pour s’intégrer dans la vie luxembourgeoise, rencontrer des personnes et partager sa culture. Pour des personnes qui ne connaissaient ni le djembé, ni le gospel, ni l’anglais…, il leur a donné accès à une musique différente, ainsi qu’à des références culturelles nouvelles.

C’est justement lorsque la communication est la plus compliquée et que l’on serait tenté de se tourner vers son monde intérieur, que la musique joue son plus grand rôle.

Enfants jouant du djembé avec une petite fille qui danse

10 years Fondation EME - Interview Robert Bodja